Voyage d’affaires

Arland s’activait à ranger son téléphone et ses cartes de crédit dans le coffre-fort – il ne garderait que le liquide sur lui pour sa virée nocturne – lorsqu’on frappa à la porte. C’était son moment favori ; il était sept heures du soir. D’habitude, il allait ouvrir, et la partie la plus humiliante de la scène se déroulait sur le pas de la porte. « Oui, entrez », cria-t-il cette fois, en Anglais.

La porte s’ouvrit sur une hollandaise d’une trentaine d’année. Ses cheveux blonds formaient une queue de cheval, et son sourire semblait franc et gêné à la fois. Elle portait l’habituel tutu noir par-dessus d’abondants jupons blancs dont s’exhibaient les dentelles, et ses collants, couleur chair, se mariaient mal à l’ensemble. Un large panier d’osier garni de quelques petits chocolats pendait de son bras droit, et le poids pourtant léger la forçait à incliner son corps vers la gauche. Elle ne le faisait certainement pas exprès, mais tout en elle évoquait la féminité – une certaine féminité, qui pour Arland n’inspirait rien d’autre que le sexe. Son sourire embarrassé, la honte probable causée par son obligation de porter un tel costume pour vivre, la manière même de casser son poignet, au sommet de son bras courbé par l’anse du panier…

-         Service de chambre, fit-elle dans un mauvais anglais. Voulez-vous que je ferme les rideaux, et que je prépare votre lit, Monsieur ?

Arland était assis dans la banquette. Il la considéra un moment. Il avait décidé d’arborer une expression gentille, et

d’utiliser un simulacre d’étonnement. Il lui fit donc un large sourire, en la regardant droit dans les yeux. Il baissa ensuite le regard, pour étudier sa tenue d’une mine embarrassée. Il revint vers son visage, puis toujours sans rien dire, il laissa son regard parcourir la poitrine, le ventre garni de noir et soyeux, le grand panier, son poignet cassé, ses jambes. Il n’ouvrit la bouche qu’après avoir senti que la fille n’espérait maintenant plus qu’un non de sa part.

- Oui, s’il vous plaît, répondit-il enfin en Anglais.

La jeune femme ne laissa rien paraître. Un sourire sur le visage, elle entra. La large jupe ondulait à chacun de ses pas, dans un bruit de froissement qui devait la rendre aussi folle qu’un employé de chantier victime du marteau-piqueur.
Elle traversa la pièce sans un mot, puis posant son panier sur un meuble, elle s’affaira à fermer les double-rideaux.
Tant pis, pensa Arland. Je les rouvrirai tout à l’heure. Ou je pourrais lui demander de les rouvrir, lorsqu’elle aura fini ?

- Vous parlez français, Monsieur ? demanda-t-elle dans un français très approximatif.
- Vous parle, la corrigea Arland. Oui, poursuivit-il, je parler français.
- Oh, fit-elle, ravie de sentir l’ambiance se détendre. Je parler français un petit peu…

Elle lui tourna le dos de nouveau, pour replier le couvre lit. Elle ouvrit ensuite les draps et s’assura qu’aucun pli ne restait

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