Voyage d’affaires

plus que confortable de Jan lui avait permis de ne jamais avoir à chercher un emploi. Le travail ne l’avait jamais effrayée, mais faire la serveuse le jour pour regagner leur fastueux pavillon de banlieue en soirée eut été vraiment déplacé – elle s’était refusée à jouer les petites filles riches au milieu des gens modestes. Elle avait donc pris la ferme décision d’apprendre, d’étudier en élevant leur Saartje, jusqu’au moment où elle pourrait prétendre à un emploi qui lui plût vraiment.

Madame Zicht s’était certes cultivée ces cinq dernières années, mais elle s’était trop éparpillée et n’avait, au final, rien appris qui eut été susceptible de lui ouvrir des portes. C’est pour ça qu’à vingt huit ans, elle s’affairait à refaire le lit de cette chambre d’hôtel, déguisée en soubrette noire et blanche avec un gros nœud ridicule dans le dos.
Elle ne détestait pas sa tenue, car, selon elle, elle la méritait précisément. Sa jupe à froufrous, c’était son bonnet d’âne. Et comme elle n’avait plus cinq ans, elle savait ignorer les rires dans son dos pour se concentrer sur la seule chose qui vaille : comment ne plus avoir à porter ce bonnet d’âne ?
Comment vivre avec ce bonnet d’âne sur la tête eut été la mauvaise question. Comment l’oublier eut été pire encore.

Alors, Josyntje se cultivait. Elle suivait des cours du soir de manière assidue, pour devenir infirmière, et peur être un jour passer son doctorat. Jan lui versait une pension – il avait proposé davantage – et Josyntje tenait des comptes méticuleux pour s’assurer que c’était leur fille, et non elle-même, qu’il aidait ainsi.

Tous les soirs, une amie venait garder la poupée tandis que maman retournait à l’école. Parfois, c’était Jan qui passait la prendre. Josyntje avait conservé le nom de Jan, pour que leur fille n’eut pas à porter un nom de famille différent de celui de sa mère. Et puis, elle était fière d’avoir été Madame Zicht.
Chaque soir, Josyntje allait prendre place sur les bancs de l’école. Et tous les matins, elle repassait son uniforme de soubrette avec autant de soin que s’il s’était agi d’une blouse de docteur, car il n’y avait pas de sot métier et tout salaire, selon elle, devrait résulter d’une certaine peine. Sa place serait peut-être ailleurs un jour, mais pour l’instant, elle était là et bien là, alors elle nettoyait les chambres comme des salles d’opération, et traitait les clients comme des invités, en respectant scrupuleusement le code de déontologie hôtelière qu’on lui avait enseigné.

15.

Il y avait une douzaine de personne autour de la table de réunion, et puisque Arland était le plus haut placé, il était celui qui allait s’ennuyer le plus. Le rôle des autres serait de le séduire après avoir capté son attention, le sien consisterait – mais il ne le jouerait pas – à donner des effets de manche et faire montre de personnalité, rire et gueuler, donner du « moi je » à tire-larigot, et parfois, leur chier sur le nez pour s’excuser dans la minute, un peu comme le ferait un papa. Sauf que deux ou trois des attablés, dont Zeedijk, auraient aisément pu être son père.

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