Voyage d’affaires

d’inquiétude, et son regard exprimait l’interrogation. Elle aimait Guillaume, profondément. Et si les liens affectifs qui unissaient celui-ci à sa famille lui inspiraient le respect, elle faisait toujours son possible pour s’empêcher de penser que cette famille, elle ne l’aimait pas. Elle eût voulu que Guillaume n’ait jamais eu de famille. Il était toujours si doux avec elle, un si bon père pour leurs enfants, si calme, si réfléchi…
Guillaume était tout cela. Mais il était bien plus que cela. Il était ses souvenirs. Il était sa jeunesse tourmentée. Il était aussi sa famille, il était toutes ses sensations, présentes et passées.

Sophie, la sœur, avait décidé de faire sa vie aux Pays-Bas, alors que son frère purgeait sa peine. Elle était partie avec quelques copains faire la fête à Amsterdam, puis s’y était installée, pour quelques mois d’abord. Elle avait rencontré là bas celui que petite fille elle attendait, celui qui allait changer sa vie.

Guillaume savait au fond de lui-même que ce qu’il faisait était une belle connerie, peut-être la pire qui soit à sa portée. Mais toute sa jeune existence, il avait lutté. Il s’en était sorti, et maintenant que pour lui la vie était enfin ce merveilleux cadeau que jeune enfant il n’osait espérer, il commençait à ressentir les premiers signes de la fatigue. Son ancienne vie avait la figure d’un minuscule pistolet mitrailleur automatique, qu’il n’avait jamais trouvé la force de balancer dans une poubelle. Il l’avait démonté, et en avait rangé chacune des pièces dans de petits sacs répartis en divers endroits, pour être bien certain de ne jamais commettre la connerie d’utiliser

cette arme et ainsi tuer tout ce en quoi il croyait désormais, tout ce pour quoi il avait lutté, tout ce qu’année après année, il était parvenu à forger.

Il savait que c’était une connerie, mais il remonta l’arme. Dans sa tête s’affrontaient l’image de sa famille, ses enfants, la vie, et l’image de sa sœur, dans une vitrine d’Amsterdam. Sa sœur de vingt huit ans, à qui la chance d’entrevoir la vie telle qu’il la connaissait maintenant n’avait jamais été accordée.

Il y aurait son protecteur. Et puis des dealers, encore. Guillaume se promit de ne pas les tuer. Avant tout, se protéger, et protéger sa sœur. Ne tuer personne, ne pas détruire ces années de combat durant lesquelles son ancienne existence n’avait pas cessé de le rappeler, ne pas leur donner raison. Cela, il se le promit. Mais il ne le jura pas devant Sauron.

Guillaume embrassa ses enfants, et fit tout son possible pour rassurer sa femme. Bien sûr, elle n’avait pas vu l’arme. Il irait, ramènerait sa petite sœur, et ferait le nécessaire pour la placer de force dans un centre qui prendrait soin d’elle, en France. Cela s’arrêterait là.

Il remit l’arme en pièces, et cacha avec soin les petits sacs dans la voiture. Il avait transporté bien pire par-delà les frontières, dans son jeune temps. Et maintenant son apparence, son vocabulaire et l’assurance de ses trente ans lui conféraient une respectabilité qui l’aiderait à passer les

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