Voyage d’affaires

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1.

Guillaume Mawloud en avait marre. Pour la quatrième fois de sa vie d’adulte, il jura par Sauron.
La première fois qu’il l’avait fait, c’était pour ses vingt ans. C’était aussi la première fois qu’il en avait eu sérieusement marre. Marre d’être un jeune sénégalais à Paris, marre de tomber dans tous les pièges auxquels sa catégorie sociale modeste le prédestinait, et marre de vivre comme s’il ne serait jamais maître de son destin.


Il avait lu un livre dans sa vie, un seul, alors qu’il était adolescent. Le Seigneur des Anneaux. Et bien qu’il manquât de références pour en juger, il savait au fond de lui qu’il était inutile de tenter d’autres livres : s’il avait lu celui-là, c’était certainement qu’il en valait la peine – les autres le décevraient immanquablement, pour sûr.
Guillaume jugeait les religions responsables de bien des maux. Alors, il jurait par Sauron.

La deuxième fois qu’il avait appelé Sauron, c’était quelques jours seulement après s’être juré de ne plus être un minable. « Par Sauron, avait-il dit, je vais te tuer. »
Trois ans de prison lui permirent de comprendre que son jugement sur le caractère unique du Seigneur des Anneaux avait été une erreur. Il lut, beaucoup, il se sevra de ses démons, et décida de devenir maître de son futur. Cela, il se le promit. Et par religion, il invoqua Sauron à témoin.

Le sport l’aida à s’improviser une paix intérieure. Il commença sa réinsertion par des petits boulots, d’abord, puis décida de suivre des cours du soir. Plus jamais il n’invoqua Sauron – ce nom lui rappelait trop douloureusement la sensation des vertèbres de son dealer, qui craquaient sous ses mains alors que lentement, il le tuait.

- Par Sauron, dit Guillaume ce jour là, j’y vais, et je la ramène.

Son épouse le considéra. Son joli visage était teinté

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