Voyage d’affaires

12.

Sophie et Cathy prenaient le café sur Nieuwmarkt, dans le petit bar qui leur faisait habituellement office de cuisine. C’était le matin, mais la sono passait déjà Wild Horses et un grand rouquin aux cheveux crêpés jouait de la batterie avec ses doigts sur le bar.

La table proche du radiateur brûlant était la leur, pas moins. Les deux jeunes femmes partageaient un appartement qui donnait sur la partie Nord du Kloveniers, c’était tout petit mais situé en plein centre. Pas de place pour une cuisinière ou un frigo, juste une pièce avec un grand lit, et une salle d’eau. Elles n’y amenaient jamais un client.
C’est Thierry, grâce à ses relations, qui avaient dégoté ce logement pour Sophie. Elle n’avait jamais eu à se soucier de la paperasse ou du loyer, car Thierry s’était occupé de tout. Puis Cathy était arrivée.

Bien sûr, Sophie s’était un peu inquiétée de cette dépendance envers Thierry, au début – qu’arriverait-il s’il décidait d’interrompre les paiements du loyer, ou de la mettre dehors, elle n’avait rien ? Mais non, ils s’aimaient, et cette solution était, après tout, temporaire.

Partager Thierry avec Cathy, aussi, lui avait peut-être semblé étrange, les premiers temps. Mais tout cela, ces premières sensations, elle ne se les rappelait même pas. Ses inquiétudes, elle avait appris à les ravaler. Ce monde n’était pas le sien, et

elle l’avait bien compris. Sophie était au moins cinquante ans avance sur son époque. Les réponses, elle les avait toutes. Elle volait bien au-dessus de la nuée. Faire la pige dans des bureaux, donner du merci patron, se déguiser en tailleur, elle aurait pu le faire facilement, mais elle était bien au-dessus de ça.

La pendule affichait les onze heures passées, Sophie et Cathy prenaient le café en guise de petit-déjeuner. Le mobile de Sophie joua la marche des Walkyries. C’était Patrick, un client français. Il appelait pour convenir d’un rendez-vous, en soirée.
Sophie aimait bien Patrick. Les Français représentaient bien 50% de sa clientèle, mais celui-là était sympa. Il venait souvent la voir, mais à dates irrégulières. Il était doux avec elle. Il payait sans faire de problème – Sophie utilisait la fonction de groupes dans son petit téléphone pour attribuer des sonneries différentes. Il y avait les bons payeurs, les casse-couilles, et les amis.

Patrick lui demandait où la retrouver, mais tout gentil qu’il était, Sophie ne voulait pas prendre le risque de faire le pied de grue dans un bar ou fermer sa boutique en attendant un client qui peut-être ne viendrait jamais.
Elle lui proposa de se retrouver à dix heures dans son quartier habituel sur Stromarkt. Elle pourrait être derrière n’importe laquelle des dix vitrines qu’il connaissait – il n’aurait qu’à fumer une cigarette et puis attendre, s’il ne la trouvait pas de suite. Appeler, peut-être. Elle y serait quoi qu’il arrive.

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